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Évaluer et prévenir les risques psychosociaux : un guide pratique pour les entreprises


1. Pourquoi parler de risques psychosociaux aujourd’hui ?


Le bien-être au travail est devenu un enjeu majeur pour les entreprises, non seulement pour répondre à leurs obligations légales, mais aussi pour attirer, fidéliser et mobiliser les talents. Pourtant, les risques psychosociaux (RPS) restent une réalité préoccupante : stress chronique, isolement, surcharge mentale, conflits internes ou encore perte de sens peuvent avoir de lourdes conséquences sur la santé des salariés et la performance collective.

Sur le plan humain, les RPS peuvent entraîner épuisement professionnel, absentéisme, troubles anxieux ou dépressifs. Sur le plan organisationnel, ils sont associés à une augmentation du turnover, des conflits sociaux, de la démotivation et parfois même à des accidents du travail. Enfin, les coûts indirects (baisse de productivité, désorganisation, frais de remplacement) pèsent lourdement sur la compétitivité.


En France, l’évaluation des risques professionnels, y compris des risques psychosociaux, est une obligation légale. Le Code du travail (articles L. 4121-1 et suivants) impose à l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures passent notamment par :

  • la prévention des risques,

  • l’information et la formation,

  • la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.


Cette démarche doit être formalisée dans le Document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), actualisé régulièrement. Depuis la réforme de 2022, ce document doit également servir de support à un plan d’action pluriannuel de prévention.

Ainsi, évaluer les RPS n’est pas une option : c’est une obligation légale, mais aussi une opportunité de transformation positive de l’organisation et de la qualité de vie au travail.


2. Comprendre les modèles de référence : Karasek et Siegrist


Pour appréhender les risques psychosociaux, plusieurs modèles scientifiques sont utilisés en pratique. Deux d’entre eux se distinguent par leur robustesse et leur accessibilité : le modèle de Karasek et le modèle de Siegrist.


Le modèle de Karasek : l’équilibre entre demande, autonomie et soutien


Développé dans les années 1970, le Job Demand-Control-Support model met en lumière l’importance de trois dimensions :

  • La demande psychologique : charge de travail, pression temporelle, complexité des tâches.

  • La latitude décisionnelle : autonomie, possibilité d’organiser son travail, usage de ses compétences.

  • Le soutien social : qualité des relations avec les collègues et la hiérarchie.


Selon Karasek, un poste est particulièrement à risque lorsque la demande est élevée, mais que la latitude décisionnelle et le soutien social sont faibles. Ce “triangle de Karasek” aide à identifier les situations génératrices de stress chronique et de mal-être.


Le modèle de Siegrist : l’effort et la récompense


Le modèle effort-récompense de Siegrist (1996) repose sur une logique simple : un déséquilibre entre les efforts consentis par le salarié (engagement, responsabilités, investissement personnel) et les récompenses reçues (salaire, reconnaissance, perspectives d’évolution) conduit à un stress nocif pour la santé.

Ce modèle met en avant la reconnaissance comme facteur central : il ne suffit pas de réduire la charge de travail, encore faut-il valoriser les efforts consentis.


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Pourquoi ces modèles sont utiles aux entreprises ?


Ces questionnaires constituent de formidables outils de diagnostic. Vulgarisés et adaptés, ils permettent :

  • d’objectiver le ressenti des salariés,

  • de détecter des signaux faibles,

  • d’alimenter le DUERP,

  • et surtout d’orienter les actions de prévention.

Ils ne remplacent pas le dialogue social, mais ils en sont un levier efficace.


3. Méthodologie d’évaluation des RPS dans l’entreprise


Mettre en place une démarche d’évaluation des RPS suppose d’articuler méthode, écoute et engagement collectif. Voici les grandes étapes recommandées :


Étape 1 : Constituer un groupe projet


L’implication de la direction est essentielle, mais il est tout aussi important d’associer les instances représentatives du personnel, le service RH, le médecin du travail et, si possible, des salariés de terrain. Ce groupe assure la légitimité de la démarche.


Étape 2 : Identifier les facteurs de risque


On peut mobiliser différents outils :

  • Questionnaires standardisés (Karasek, Siegrist, COPSOQ, INRS RPS-DU).

  • Entretiens individuels (DRH, direction générale, instances représentatives du personnel, syndicats, etc) et collectifs pour recueillir les perceptions.

  • Analyse d’indicateurs (absentéisme, turnover, accidents, arrêts maladie, résultats d’enquêtes internes).


Dans tous les cas, il est fortement recommandé de faire appel a des ressources spécialisées externes à l'entreprise pour garantir la neutralité de la lecture des résultats et le respect du RGPD lors de la récupération des questionnaires anonymisés standardisés.


Étape 3 : Analyser les résultats et hiérarchiser les risques


Les données recueillies sont mises en perspective avec l’organisation du travail : processus, management, conditions matérielles. L’objectif est de prioriser les risques en fonction de leur gravité et de leur fréquence.


Étape 4 : Intégrer au DUERP et définir un plan d’action


Les RPS identifiés doivent être consignés dans le DUERP, puis traduits en actions de prévention. Ces actions peuvent être organisationnelles (ajustement des charges, clarification des rôles), managériales (formation des encadrants), ou collectives (amélioration de la communication, espaces de discussion). Dans tous les cas, des groupes de travail avec le personnel de l'entreprise doivent être constitués pour associer l'ensemble du personnel volontaire à la démarche.


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Cas pratique : une PME de services en difficulté


Dans une entreprise de 80 salariés du secteur des services, un questionnaire inspiré de Karasek a révélé :

  • une demande psychologique élevée liée aux délais serrés,

  • une faible latitude décisionnelle,

  • un soutien social limité par un management très vertical.

Conséquences : hausse de l’absentéisme et turnover de 25 %.


Plan d’action mis en œuvre :

  • mise en place d’équipes autonomes pour mieux répartir la charge,

  • formation des managers à l’écoute active,

  • instants conviviaux pour renforcer la cohésion.

Résultat : baisse de 15 % de l’absentéisme en un an, et une meilleure satisfaction des salariés.


4. De la prévention à la qualité de vie au travail (QVT/QVCT)


Évaluer les RPS ne doit pas se limiter à éviter les situations délétères. C’est aussi l’occasion de favoriser la qualité de vie et les conditions de travail (QVCT), désormais intégrée dans le dialogue social en France (ANI 2013, prolongé par la réforme de 2022).


QVCT : une approche positive


La QVCT vise à créer un environnement où les salariés se sentent utiles, écoutés et reconnus. Elle s’appuie sur plusieurs leviers :

  • Dialogue social et participation : associer les salariés aux décisions qui les concernent.

  • Reconnaissance : valoriser les réussites individuelles et collectives.

  • Organisation du travail : équilibre entre exigences et ressources.

  • Équilibre vie professionnelle / vie personnelle : flexibilité, droit à la déconnexion.


Exemple inspirant : une entreprise industrielle


Dans une usine de 300 salariés confrontée à un fort turnover, un diagnostic selon le modèle de Siegrist a mis en évidence un déséquilibre majeur : beaucoup d’efforts fournis (horaires postés, exigences de production) pour peu de reconnaissance (peu de perspectives d’évolution).

Actions mises en place :

  • création d’un système de reconnaissance collective (célébration d’objectifs atteints),

  • parcours de formation interne pour faciliter les promotions,

  • développement de moments d’échanges entre encadrement et équipes.

En deux ans, le turnover est passé de 18 % à 9 %, et l’entreprise a gagné en attractivité.


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5. Conclusion – Passer à l’action dès maintenant


L’évaluation et la prévention des risques psychosociaux sont à la croisée de plusieurs enjeux : légaux, humains et économiques. Elles représentent un investissement durable qui contribue à la performance sociale et à la compétitivité.


En résumé :

  • C’est une obligation légale : tout employeur doit intégrer les RPS dans le DUERP et mettre en place des actions de prévention.

  • C’est un enjeu humain : préserver la santé psychologique et l’épanouissement des salariés.

  • C’est une opportunité : développer la qualité de vie au travail, renforcer l’engagement et fidéliser les talents.

Le premier pas est souvent le plus difficile, mais il peut être simple : constituer un groupe projet, administrer un premier questionnaire (Karasek ou Siegrist), analyser les résultats et engager le dialogue.


Évaluer les RPS, ce n’est pas seulement éviter le mal-être : c’est construire une organisation plus humaine, plus résiliente et plus performante.

 
 
 

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