Chute de hauteur et échafaudages : évaluer, prévenir et sécuriser dans le BTP et l’industrie
- Marc Duvollet
- 24 août
- 6 min de lecture
1. Introduction – Un risque transversal et toujours d’actualité
Les chutes de hauteur demeurent la première cause d’accidents graves et mortels au travail en France, représentant près de 20 % des accidents mortels selon l’INRS (2023). Dans le BTP, elles concernent particulièrement les travaux sur échafaudages, mais l’industrie et la maintenance ne sont pas épargnées (arrêts techniques, interventions sur machines, travaux de façade ou en ateliers).
Un échafaudage mal monté, non vérifié, ou utilisé sans respect des règles de sécurité peut transformer un chantier ordinaire en drame. Ces accidents entraînent non seulement des conséquences humaines dramatiques, mais également des conséquences juridiques et économiques importantes pour l’entreprise : arrêts de production, sanctions pénales, reconnaissance de la faute inexcusable, atteinte à l’image.
En France, la prévention des chutes de hauteur relève à la fois du Code du travail, des normes techniques françaises et européennes, et de la jurisprudence, qui rappelle régulièrement les obligations des employeurs.

2. Le cadre réglementaire : Code du travail et obligations de l’employeur
Le Code du travail impose à l’employeur une obligation générale de sécurité (art. L. 4121-1 à L. 4121-5) :
« L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention, d’information et de formation, ainsi que la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. »
Appliqué aux échafaudages, cela se traduit par des prescriptions précises :
Article R. 4323-69 : « Le montage, le démontage ou la modification d’un échafaudage est effectué sous la direction d’une personne compétente et par des travailleurs ayant reçu une formation adéquate et spécifique. »
Article R. 4323-72 : obligation de vérifier l’échafaudage avant la première utilisation, après toute modification ou événement susceptible de l’avoir affecté (chute d’objet, intempéries).
Article R. 4323-77 : obligation de conserver un registre des vérifications.
Article R. 4141-13 : obligation de formation pratique à la sécurité pour les travailleurs exposés aux risques particuliers (dont le travail en hauteur).
Contexte BTP : un Plan particulier de sécurité et de protection de la santé (PPSPS) doit intégrer les mesures spécifiques aux échafaudages.Contexte industrie/maintenance : en cas de co-activité, un plan de prévention (art. R. 4512-6 et suivants) doit être établi entre l’entreprise utilisatrice et l’entreprise extérieure.
3. Les normes françaises et européennes applicables
Les normes complètent le Code du travail en précisant les exigences techniques.
Tableau de correspondance exigences → actions pratiques
Référence | Objet | Exigences clés | Actions pratiques |
NF EN 12810 / 12811 | Échafaudages de façade (composants et exigences de performance) | Résistance mécanique, stabilité, planchers, garde-corps | Vérifier la conformité au fabricant, réception de l’échafaudage avant usage |
NF EN 1004-1 (2021) | Échafaudages roulants | Hauteur max, largeur planchers, stabilité au vent, dispositifs d’accès intégrés | Vérifier blocage des roues, interdiction d’utilisation en cas de vent fort, respect notice constructeur |
NF P 93-520 | Montage, démontage, transformation (MDS) | Formation obligatoire des monteurs, respect du mode opératoire | Contrôler l’habilitation des salariés MDS, suivi des modes opératoires |
NF EN 363 / 365 | Systèmes d’arrêt de chute (EPI antichute) | Harnais, longes, absorbeurs d’énergie, ancrages conformes | Vérification périodique annuelle des EPI, formation pratique à l’utilisation |
Arrêté du 21/12/2004 | Vérifications générales périodiques | Contrôles avant mise en service, tous les 3 mois, consignation au registre | Mettre en place une procédure écrite de vérification périodique |
👉 Traduction pour l’employeur : assurer la conformité réglementaire + conformité normative = obligation de sécurité renforcée.
Méthodologie pas-à-pas d’évaluation du risque de chute
Étape 1 : Analyser la tâche
Quelle est la hauteur de travail ?
Quelle est la durée d’exposition ?
Quelles sont les conditions environnementales (vent, sol meuble, pluie) ?
Y a-t-il une co-activité avec d’autres corps de métier ?
Étape 2 : Identifier les zones de danger
Bords de plancher non protégés.
Trémies, ouvertures, zones de passage.
Accès à l’échafaudage (escaliers, échelles).
Étape 3 : Évaluer le risque (grille de cotation)
Critère | Cotation (1 à 5) | Exemple |
Gravité | 1 = bénin, 5 = mortel | Chute de 6 m = gravité 5 |
Probabilité | 1 = rare, 5 = fréquente | Montage/démontage = probabilité 4 |
Maîtrise | 1 = maîtrise totale, 5 = non maîtrisé | Absence de garde-corps = maîtrise 5 |
Score global = Gravité × Probabilité × Maîtrise
👉 Risque > 50 = inacceptable, nécessite arrêt du travail jusqu’à correction.
Étape 4 : Choisir le moyen d’accès – Arbre de décision
Durée < 1h : PIRL ou nacelle.
Durée > 1h, hauteur < 2,5 m : échafaudage roulant conforme NF EN 1004-1.
Durée > 1h, hauteur > 2,5 m : échafaudage de pied (NF EN 12810/12811).
Travaux en accès complexe : échafaudage multidirectionnel ou ligne de vie avec EPI.
Étape 5 : Définir les mesures de prévention
Privilégier protections collectives (planchers, garde-corps, filets) avant EPI.
Vérifier la compétence des monteurs (formation MDS).
Consigner les contrôles dans le registre.
5. Outils pratiques pour les préventeurs
Le Montage, démontage et modification d’un échafaudage doit être réalisé sous la direction d’une personne compétente par des travailleurs formés spécifiquement au montage, démontage et transformation des échafaudages (formation obligatoire, avec attestation).
Référence : articles R.4323-69 à R.4323-80 du Code du travail + arrêté du 21 décembre 2004 relatif à la formation à la sécurité des travailleurs intervenant sur les échafaudages.
👉 Cela concerne à la fois les échafaudages roulants (R457) et les échafaudages fixes de pied (R408).
Une réception initiale doit être effectuée avant la première utilisation. Elle doit être réalisée par le chef d’établissement ou son représentant compétent (ex. chef de chantier, responsable sécurité), en concertation avec le monteur d’échafaudage. La réception est consignée par écrit (PV ou fiche de réception).
5.1 Check-list de réception d’échafaudage
Conformité au plan de montage.
Stabilité sur appuis solides.
Ancrages présents et corrects.
Planchers continus, sans défaut.
Garde-corps et plinthes en place.
Accès sécurisés.
Absence d’éléments déformés.
Signalisation conforme.
Vérification après intempéries.
Consignation dans registre.
5.2 Check-list vérification journalière (10 points)
L'Utilisation de l’échafaudage est réservée aux travailleurs ayant reçu une formation à la sécurité adaptée à l’utilisation de l’échafaudage (distincte de la formation de montage).
Blocage des roues (échafaudages roulants).
Bon état des planchers.
Garde-corps non déplacés.
Absence de surcharge.
Absence d’objets stockés en hauteur.
Absence de modifications sauvages.
Signalisation toujours visible.
Conditions météo adaptées.
Accès dégagés.
Vérification visuelle des ancrages.
5.3 Consignation dans le registre de sécurité
Date et heure de vérification.
Identité du vérificateur.
Constatations et anomalies.
Mesures correctives prises.
Signature responsable.
6. Jurisprudence récente et marquante
La jurisprudence rappelle régulièrement la responsabilité pénale et civile des employeurs. Quelques exemples :
Cass. crim., 15 octobre 2019, n° 18-83.980Un salarié chute de 4 m depuis un échafaudage roulant dépourvu de garde-corps. L’employeur est condamné pour blessures involontaires et manquement à son obligation de sécurité.
CA Lyon, 12 mars 2020, n° 18/04567Accident grave lors de la maintenance d’une chaudière industrielle. L’échafaudage n’avait pas été réceptionné ni consigné dans un registre. L’entreprise utilisatrice est déclarée responsable civilement et condamnée à indemniser la victime.
Cass. crim., 23 mars 2021, n° 20-82.642Un monteur d’échafaudage chute mortellement lors d’un démontage sans formation MDS. L’entreprise est condamnée pour homicide involontaire et manquement à l’obligation de formation.
TGI Marseille, 5 avril 2022, n° 20/01245La faute inexcusable de l’employeur est retenue suite à l’absence de vérifications périodiques d’un échafaudage de façade. Condamnation : majoration de la rente AT et dommages-intérêts.
👉 Ces affaires montrent que l’absence de garde-corps, de formation, de réception ou de consignation peut engager la responsabilité pénale et civile des employeurs.

7. De la prévention à la pédagogie : schémas et infographies
Pour un public junior, la pédagogie visuelle est essentielle. Les infographies peuvent représenter :
Zones de danger sur un échafaudage (bords, trémies, zones de passage).
Garde-corps conformes (hauteur 1 m, plinthe 15 cm, lisse intermédiaire).
Distances de chute et facteur de chute avec EPI.
Do / Don’t :
Do ✅ : bloquer les roues, vérifier planchers, utiliser un accès intégré.
Don’t ❌ : déplacer un échafaudage avec un salarié dessus, stocker des matériaux lourds en hauteur, bricoler des accès.

8. Conclusion – La sécurité en hauteur, une responsabilité partagée
La prévention des chutes de hauteur sur échafaudages est à la croisée de trois enjeux :
Humain : protéger la vie et la santé des travailleurs.
Économique : réduire arrêts, indemnisations, pertes de production.
Juridique : éviter condamnations pénales et faute inexcusable.
L’évaluation du risque doit être intégrée au DUERP et actualisée régulièrement. Pour l’employeur, agir vite et bien, c’est non seulement répondre à une obligation légale, mais aussi renforcer la performance sociale de l’entreprise.
Évaluer, prévenir et sécuriser les échafaudages, c’est investir dans la pérennité de l’organisation et dans la confiance des salariés.




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